Ce meuble puissant provient du Château de Dampierre, château historique de la famille d’Albert de Luynes à partir de 1663.
Honoré-Théodoric-Paul-Joseph d’Albert, duc de Luynes (1802-1867), est un savant réputé, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui s’est illustré par la publication de nombreux articles sur la numismatique ou relatifs aux fouilles archéologiques qu’il mène, notamment en Italie du sud. Il est également collectionneur d’antiques (vases, pierres gravées, monnaies). Il confie la restauration de son château de Dampierre à l’architecte Félix Duban à partir de 1839 afin d’y présenter ses collections, ce qui est l’occasion également de commander un certain nombre d’œuvres d’art aux meilleurs artistes et artisans de son temps.
Réalisée en placage d’ébène et bronze doré, cette enfilade est un véritable chef-d’œuvre de l’ébéniste Alexandre Bellangé. Les vantaux de porte sont scandés par trois pieds-consoles dont les modillons sont garnis de fausse passementerie en bronze doré au réalisme saisissant.
Ces modillons sont surmontés de trois masques de femmes représentant l’Automne, avec grappes de raisins et vignes, et l’Été, avec épis de blé et fleurs des champs.
On retrouve ces mêmes masques de femmes sur une somptueuse paire de consoles faisant partie de la collection de Sa Majesté la reine Elizabeth II au Palais de Buckingham à Londres. Ces consoles furent réalisées en 1820 par Louis-François Bellangé, père d’Alexandre.
Le corpus des meubles actuellement connus réalisés par Louis-François et son fils Alexandre montre une continuité stylistique. En effet, l’enfilade présentée ici reste bien dans l’esprit des créations du père, notamment par l’emploi des mêmes masques de femmes représentant les saisons.
Le Duc de Luynes, grand amateur d’art réaménageant son château de Dampierre, ne pouvait alors que s’adresser à cet atelier de renom pour cette commande particulière.
Le château est construit à la fin du XVIIe siècle par Jules Hardouin-Mansart, sur les ordres du duc de Chevreuse, Charles Honoré d'Albert, gendre de Colbert, au sein d’un vaste parc dessiné par Le Nôtre.
Archéologue, numismate et collectionneur, le duc est également un important mécène du milieu du XIXè siècle. Il commande de nombreuses œuvres d’art, notamment pour son château de Dampierre. C’est ainsi que le salon de Minerve est conçu comme un véritable écrin pour ses collections. Il commande à Pierre-Charles Simart une reconstitution de la sculpture chryséléphantine de la Minerve du Parthénon. Jean Auguste Dominique Ingres, alors directeur de l’Académie de France à Rome, est appelé pour réaliser deux grandes fresques allégoriques, l’Âge d’Or et l’Âge de Fer, qui restèrent inachevées.
Le mécénat du duc visait en priorité un renouveau des arts industriels en France grâce au savoir-faire des anciens ; cette enfilade, commandée à l’ébéniste de talent qu’était Bellangé, est sans aucun doute, par ses qualités esthétiques et sa prouesse technique, un superbe exemple des arts industriels du XIXè siècle.
Cette grande enfilade se trouvait sur le palier menant à la bibliothèque du château, probablement déplacée de son emplacement original au cours du XXè siècle .