Magnifique statue en marbre Statuaire de Carrare représentant « Le Rêve d’Armide » par Amand-Désiré-Honoré Barré, Exposition Universelle de 1878

Titre gravé sur la base : « Le rêve d’Armide »

Signature au dos du bouclier : « am. Barré »

Marbre Statuaire de Carrare

Le plâtre fut exposé pour la première fois au Salon de 1873, puis la statue en marbre fut exposée au Salon de 1875 et à l’Exposition Universelle de 1878 à Paris.

H. : 86 cm ; L. : 197 cm ; P. : 76 cm

Cette somptueuse statue monumentale fut réalisée par le sculpteur français Amand-Désiré-Honoré Barré en marbre Statuaire de Carrare afin d’être exposée au Salon de 1875 qui eut lieu au Palais des Champs-Elysées. En 1878, elle fut sélectionnée pour représenter la sculpture française lors de l’Exposition Universelle. Elle représente Le Rêve d’Armide, un épisode inspiré du poème épique de Le Tasse, poète italien du XVIème siècle, intitulé La Jérusalem Délivrée. Ce poème est un récit fictionnel de la première Croisade (1096 – 1099) qui narre en particulier l’histoire d’Armide, une jeune sarrasine enchanteresse fille du roi de Damas, et de Renaud, jeune guerrier chrétien. Armide, luttant contre les Croisés, les séduit par sa beauté, les conduit sur son île et les change en animaux. Toutefois, bien qu’ils soient ennemis, la jeune magicienne rêve de Renaud, alors en route pour Jérusalem, et tombe amoureuse de lui. Grâce à un sortilège, elle le fait succomber à ses charmes et l’enferme dans ses jardins. Les deux compagnons guerriers de Renaud, Ubolde et le Danois, profitent de l’absence de la princesse pour venir chercher le jeune homme et le faire revenir à la raison. Alors qu’il s’enfuit de cette île, Armide tente en vain de le retenir. Une fois parti, elle fait disparaître son île et s’échappe sur son char magique.

Jean-Honoré Fragonard,
Renaud dans les jardins d'Armide,
huile sur toile, vers 1763, Musée du Louvre.



Ce récit a inspiré de nombreux artistes, aussi bien des musiciens comme Jean-Baptiste Lully qui compose Armide en 1686 et Dvořák qui compose lui aussi une Armida (1904), que des peintres comme Nicolas Poussin, Anton van Dyck et Jean-Honoré Fragonard. Toutefois la plupart de ces œuvres représentent les amants dans les jardins d’Armide, ensemble ou se séparant d’une manière déchirante lorsque Renaud reprend ses esprits.

Nicolas Poussin, Armide surprenant Renaud endormi (version de Londres),
huile sur toile, entre 1628 et 1630, Dulwich picture Gallery, Londres.

L’iconographie de notre sculpture, montrant la jeune Armide plongée dans ses rêves, est donc tout à fait originale.


Celle-ci représente Armide et indirectement Renaud, qui apparaît dans ses songes. La présence de ce dernier est symbolisée par son bouclier décoré d’un aigle (figure héraldique utilisée dès les croisades), son casque et son épée sur lesquels Armide repose. Ses armes, déposées et gardées par la jeune enchanteresse, symbolisent son envoûtement et l’arrêt des combats.
La main de la jeune femme tient légèrement l’épée, comme si, malgré son sommeil, elle s’assurait que le jeune guerrier ne puisse reprendre ses armes et reste avec elle. Ses yeux légèrement ouverts peuvent également laisser penser qu’elle regarde son amant. Sa position lascive suggère un certain érotisme. Les roses et le lierre sur lesquels repose le corps de la jeune femme indiquent que la scène a lieu dans ses jardins.

Les détails de cette sculpture sont particulièrement travaillés. La chevelure d’Armide recouvre quasiment tout le rocher. Une grande attention a été portée aux ondulations et aux éléments qui ornent le dessus de sa tête, à savoir une rose et un bandeau. Ce dernier est gravé de motifs géométriques qui peuvent rappeler la sobriété des décors des boucliers musulmans à l’époque des Croisades.

Le titre de l’œuvre est gravé sur un côté du socle dans une écriture rappelant la calligraphie médiévale et ainsi l’époque à laquelle est censé se dérouler le récit.

Le sculpteur signe avec discrétion sous le bouclier : « am. Barré ». Amand-Désiré-Honoré Barré, sculpteur né dans l’Orne et devenu l’élève de Victor-Edmond Leharivel-Durocher, est actif à Paris dans les années 1860-1870.

Au Salon de 1873 ayant lieu au Palais des Champs-Elysées, Amand Barré expose, au n° 1507, un plâtre d’une statue nommée Le Rêve d’Armide.

Pour la même année, les Archives Nationales conservent un document concernant une demande ou une attribution de marbre ou d'atelier, ce qui est probablement chose faite puisque la statue en marbre du Rêve d’Armide est exposée lors du Salon de 1875.



« Le Rêve d’Armide » à l’Exposition Universelle de 1878 à Paris


L’ouvrage Les Beaux-Arts à l’Exposition Universelle de 1878 écrit par Duval mentionne au « N° 1082, le Rêve d’Armide, voluptueuse étude largement traitée par M. Barré ». Une photographie ancienne de la Galerie des Beaux-Arts de l’Exposition Universelle de 1878 que nous avons pu retrouver nous laisse largement apercevoir cette sculpture en bonne place dans le Palais du Trocadéro.

Ce Rêve d’Armide est ainsi une redécouverte majeure, autant pour l’Histoire de l’Art du XIXè siècle, que pour la connaissance des œuvres présentées lors des Expositions Universelles et pour la postérité de Amand Barré, sculpteur injustement méconnu.

Au centre de la Galerie des Beaux-Arts de l'Exposition Universelle de 1878, on aperçoit "Le rêve d'Armide".

Il est pourtant tout à fait vrai que Amand Barré, avec cette Armide, s’inscrit dans un courant caractéristique de son époque. En effet, cette sculpture rappele le goût des artistes du XIXème pour le nu féminin et surtout, la représentation érotique de la femme en sculpture.

En 1847, Auguste Clésinger inaugure ce mouvement artistique en sculpture avec sa Femme piquée par un serpent, sculpture grandeur nature qui provoque un scandale lors de sa présentation au Salon.

Auguste Clésinger, "Femme piquée par un serpent", 1847, marbre,
H. 56,5 cm, L. 180 cm, P. 70 cm, Paris, musée d'Orsay.

Clésinger réitère son tour de force l’année suivante en proposant une statue d’une jeune bacchante révélant une posture similaire.

Auguste Clésinger, "Bacchante couchée", 1848, marbre,
H. 56,5 cm, L. 200 cm, P. 82 cm, Paris, Petit Palais.

Ce goût pour le nu féminin en sculpture se perpétue avec Alexandre Schoenewerk et sa Jeune Tarentine qu’il réalise en 1870.

Alexandre Schoenewerk, "Jeune Tarentine", 1870, marbre,
H. 74 cm, L. 171 cm, P. 68 cm, Paris, musée d'Orsay.




Il est d’ailleurs tout à fait intéressant de noter que la Jeune Tarentine fut également exposée lors de l’Exposition Universelle de 1878, à quelques mètres seulement du Rêve d’Armide.
De la même manière, notre statue éveille un sentiment de sensualité grâce au rendu très charnel du corps d’Armide et sa pose langoureuse.


Les œuvres de Amand-Désiré-Honoré Barré

Au Salon de 1874, le sculpteur présente une statue en marbre, Jeune faune se découvrant des cornes, au n° 2662, œuvre achetée par l’État Français et dont le plâtre avait déjà été exposé en 1869 (n° 3235). Il semble que cette date marque un tournant et un début de reconnaissance pour l’artiste puisque la marbre du Rêve d’Armide est réalisé l’année suivante.

Au Salon de 1876, Barré présente deux plâtres « Le Réveil » et un buste portrait de Jules Amigues (n° 3062 et 3063). Au Salon de 1878, il expose le marbre du « Réveil » (n° 4026) et est récompensé d’une Mention Honorable. Cette statue en marbre sera achetée en 1949 pour orner les jardins du Château de Flers situé à quelques kilomètres seulement de la ville natale de Amand-Désiré-Honoré Barré.

Vue sur le Réveil, sculpture en marbre de Amand Barré, placée en 1949 devant le Château de Flers.



La postérité du Rêve d’Armide

A la suite de l’Exposition Universelle de 1878, l’État français organise un évènement qui fera couler beaucoup d’encre et sera source d’une fébrile excitation pour le peuple en janvier 1879, une gigantesque loterie nationale. Avec 80.000 lots à gagner, ce fut une loterie d’une ampleur sans précédent dont le tirage se déroula sur plusieurs jours. Plus de 12 millions de billets avaient été vendus ! Lors du premier jour de tirage, le 26 janvier 1879, 300 gros lots d’exception sont proposés, œuvres d’art d’artistes majeurs tels que Gustave Moreau, Schoenewerck, Delaplanche ou Meissonnier, rivières de diamants et autres tableaux, sculptures et meubles de grand prix. Preuve de la valeur du Rêve d’Armide, celle-ci fut proposée comme trentième lot ! Non localisée depuis lors, ce chef-d’oeuvre de sculpture est aujourd’hui redécouvert et son histoire retracée marque un évènement majeur.

Tirage de la loterie nationale, 26 janvier 1879 au Palais du Trocadéro, Paris - Bibliothèque Nationale de France