Deux personnages richement vêtus à la mode de la Renaissance française, manches et chausses à « crevées », toque à plume ou encore collerette de dentelle, semblent se préparer pour la chasse. Tandis que l'homme tient en laisse un lévrier, un faucon aux ailes éployées repose sur la main de la jeune femme. De son autre main, cette dernière désigne le blason situé à ses pieds : « bandé d'or et de gueule », celui-ci est le drapeau de la Provence, région où se situe le Château des Ollières. Le château en arrière plan, les festons et rinceaux de l'architecture, l'écusson situé au bas de la composition, évoquent ce passé merveilleux qu'est celui de la Renaissance.
Une commande aristocratique
Selon des pièces d'archives gracieusement fournies par l'actuelle Maison Lorin, nous avons pu découvrir que le commanditaire, en 1882, est « un haut responsable de l'Etat, M. Usquin ». Ces précieuses archives conservaient également le dessin d'un second vitrail réalisé en pendant du nôtre et à la composition très similaire. Faisant aujourd'hui partie du collection privée, ce second vitrail porte le monogramme « EU » ainsi que la devise « Vite et Bien », ce qui semble désigner Émile Usquin (1834-1917), grand fonctionnaire ayant fait une carrière exemplaire et gravissant les échelons jusqu'à devenir devenir consul général du Mexique à Monaco.
Notre vitrail serait donc une commande de ce grand homme d'État à la suite de l'acquisition du Château des Ollières vers 1881-1882.
En 1885, la demeure est rachetée par le prince Alexis Lobanov-Rostovsky (1824-1896), ambassadeur de l'Autriche-Hongrie pour la Russie sous Alexandre II. Il occupa par la suite le poste de Ministre des Affaires étrangères sous le règne de Nicolas II. Spécialiste du règne de Paul Ier de Russie au XVIIIe siècle, Lobanov-Rostovsky était passionné d'histoire et s'enorgueillissait de descendre du roi légendaire Riourik (IXe siècle). C'était également un grand collectionneur de médailles, de sculptures, peintures et gravures.
Esthète et passionné par l'attrait légendaire du passé, Lobanov souhaite remanier entièrement le Château des Ollières dès son acquisition et fait appel à l'architecte d'origine polonaise Adam Dettloff.
L'architecture fantasque du château des Ollières doit au remaniement d'Adam Dettloff, qui en fait une « folie » de la Belle Epoque. Les « folies », lieux de villégiatures aux architectures capricieuses, étaient nombreuses sur la Côte d'Azur. Les Beaumettes à Nice accueillaient déjà la villa de la princesse ukrainienne Kotschoubey et le château de La Tour appartenant à la famille Audiffret. Le château de l'Anglais, folie emblématique de 1858, a précédé les Ollières, qui a son tour inspirera la villa Leliwa, autre réalisation de Dettloff.
Le château des Ollières, qui inspirait déjà à Usquin un décor néo-Renaissant, prend ainsi des accents troubadour et orientaliste à la fois avec ses tours crénelées et ses couleurs extravagantes. L'extrême qualité des vitraux de Lorin et leur sujet évoquant le monde médiéval tout à fait en accord avec la nouvelle architecture de la demeure permet à Dettloff de les conserver.
Le « Départ pour la Chasse » continua à orner le château après sa transfiguration, et fit partie de ce caprice esthétique.
L'atelier Lorin de Chartres, une manufacture de grande renommée
Fondé en 1869 à Chartres par Nicolas Lorin, l'atelier Lorin, inscrit aux monuments historiques, est le plus ancien de cette même ville et reste aujourd'hui encore en activité. Originellement employé de la fabrique de Le Mesni-Saint-Firmin, Nicolas Lorin (1833-1882) obtient un grand succès dès 1864 grâce à six vitraux réalisés pour l'Église de Saint-Martin de Samer (Pas-de-Calais). L'atelier qu'il ouvre par la suite en son nom sera le lieu de création de très nombreux vitraux de grande qualité, destinés à orner de superbes bâtisses dans toute la France et même à l'étranger. En une dizaine d'années, l'atelier Lorin devient une manufacture de renommée mondiale, comprenant 53 employés, et, en 1880, un magasin de vente est ouvert à Lille. Citons, en exemple de la production de cette première époque, les vingt-trois vitraux réalisés pour l'Église Sainte-Anne d'Amiens, illustrant la Bible et la mort de Louis XIII.
Les années 1882 à 1898 ont vu la production de vitraux magnifiques, comme ceux de l'Église Saint-Aignan de Chartres (entre 1887 et 1891), classés monuments historiques, ou les quarante-cinq vitraux de l'Église Saint-Aubin à Houlgate (Normandie) entre 1882 et 1897. L'atelier devenu célèbre est sollicité lors de l'Exposition Universelle de 1889. Un vitrail représentant le char du Soleil y orne le Palais des Machines, construction détruite après l'événement. On trouve des vitraux de l'atelier Lorin jusqu'à Jérusalem et à Saïgon, tant est grande sa renommée.
Église Sainte-Anne, Amiens.
Vitrail classé aux Monuments Historiques.
Grâce aux archives de la manufacture, nous savons que « Le Départ pour la Chasse » a été réalisé sur les cartons de Julian, l'un des maîtres-cartonniers de la manufacture. La combinaison de plusieurs techniques démontre la virtuosité et l'exceptionnelle qualité d'exécution de l'atelier Lorin. Le verre est peint avec des émaux, parfois doublé et émaillé sur les deux faces donnant ainsi un effet de profondeur. Certaines parties sont émaillées sur une face et gravées à l'acide sur l'autre. Des détails figurés autour des personnages ont certainement été réalisés au pochoir, tandis que la peinture en grisaille, pour les visages notamment, permet de représenter des détails tout en finesse, le velouté des chairs, le rendu des étoffes. S'en suivent des contrastes importants entre couleurs en aplats et détails fins, alliant la vivacité des couleurs médiévales aux dessins académiques hérités de l'âge classique. En cela ce vitrail est un vibrant témoignage de l'esthétique historiciste, guidée par le fantasme, propre au XIXe siècle.
La grande délicatesse dans le travail de la lumière et des couleurs fait de cette pièce une des meilleures réalisations de l'époque et un des chefs-d'œuvre de la manufacture Lorin.