Cette paire de statues en fonte représentant deux Indiens d’Amérique du Nord a été réalisée par la Fonderie du Val d’Osne à la fin du XIXème siècle.
L’homme aux muscles saillants et au nez aquilin tient dans sa main gauche un éventail de plumes (dont un petit bout est manquant) tandis qu’il soulève de son bras droit le manche destiné à accueillir la torchère. Cet homme, à la posture à la fois fière et nonchalante, semble toiser celui qui lèvera les yeux pour le contempler.
La femme, qui adopte la même posture que son double masculin et porte également un éventail de plume dans sa main droite, est vêtue d’une draperie qui exhibe sa poitrine et sa gorge mises en valeur par quelques bijoux ornés de perles et de coquillages.
L’homme et la femme portent un bracelet de bras, respectivement au bras droit et au bras gauche. Les détails sont particulièrement soignés, puisque l’accessoire semble gravé de motifs géométriques. La pose de ces deux statues au mouvement de hanche appuyé leur confère un certain réalisme que renforce la qualité des détails. Notamment, les plis des draperies ou encore des côtes sous le bras gauche de la femme sont restitués avec une grande précision.
Ces deux statues ont été réalisées par la fonderie du Val d’Osne. On retrouve dans les catalogues de vente de la société les modèles de ces sculptures, avec des variations de socles et de torchères. Sur l’une de ces pages de catalogue, nous pouvons retrouver le modèle d’une paire de chenets en fonte de fer et bronze doré aux sphinges inspirés d’Eugène Frédéric Plat (1827-1903), datant de la fin du XIXème siècle et également disponible sur notre site. Les illustrations des statues d’Indiens d’Amérique du Nord se démarquent des autres modèles proposés par la fonderie, d’inspiration antique, rendant ces statues d’autant plus originales. Elles évoquent un certain exotisme par leur sujet bien que celui-ci s’exprime dans une forme occidentalisée, puisque les corps et les drapés rappellent les modèles classiques des sculptures de la même période.
Au cours du XIXème siècle, la littérature française est de plus en plus empreinte d’un imaginaire américain. Au début du siècle, Chateaubriand effectue un voyage en Amérique qui se traduit par des ouvrages imprégnés des grands espaces du continent. De manière générale, la littérature française dépeint l’Indien comme un être proche de la Nature et associe les vastes étendues de terre à une certaine idée d’utopie. D’autres voyageurs reviennent avec des récits offrant un éclairage sur la société américaine, et notamment sur la situation des Indiens. Peu à peu les distances entre les deux continents sont raccourcies grâce aux progrès techniques. Nous pouvons relever la création de la première ligne régulière transatlantique de bateau, peu avant la deuxième moitié du XIXème siècle, réduisant la durée du voyage à quelques semaines et entraînant une augmentation des échanges et des ouvrages sur le sujet. En 1866, le premier câble télégraphique sous marin intercontinental est posé. Parmi les auteurs qui influencent l’image de l’Amérique du Nord en France, nous pouvons citer Gabriel Ferry (1809-1852), Louis de Bellemare de son vrai nom. Celui-ci connaît bien le sud des Etats-Unis, qu’il décrit avec beaucoup de détails en insistant sur l’exotisme des mœurs. Il est le pionnier du genre du roman de Far West, où se mêle grands espaces, aventure et lutte pour les territoires. Ces ouvrages du XIXème siècle marquent l’imaginaire français, en particulier l’iconographie des Indiens, et inspirent la création de sculptures semblables à ces deux statues de la fonderie du Val d’Osne.
La société du Val d’Osne est une fonderie d'art créée en 1835 par Jean Pierre Victor André, inventeur de la fonte de fer d'ornement, pour fabriquer du mobilier urbain notamment. Tandis que ses ateliers se trouvaient au Val d’Osne en Haute Marne, son siège social ainsi que son magasin d’exposition se situaient au 58, boulevard Voltaire, dans le 11ème arrondissement de Paris. A sa mort, son neveu, Hippolyte André (1826-1891), reprend l’affaire. L’importance de la fonderie est telle qu’elle ne tarde pas à absorber les sociétés concurrentes comme André, Barbezat et Ducel. Elle devient ainsi la plus importante société en matière de fonte d’art en France. Réputée auprès de ses contemporains notamment grâce à ses fontaines monumentales, ses statues et grands groupes en fonte de fer réalisés d’après des modèles antiques classiques ou des modèles contemporains, la fonderie obtient plusieurs médailles lors des expositions des produits de l’industrie française. Elle reçoit une médaille de bronze en 1834, une médaille d’argent en 1839, des médailles d’or en 1844 et 1845. Elle participa également aux Expositions Universelles de Londres en 1851, de Paris en 1855, de Santiago en 1875, de Melbourne en 1879, à celles de Paris en 1878, où elle est récompensée du Grand prix et de deux médailles d’or, 1889 (hors concours et membre du jury) et 1900 (hors concours et membre du jury). Elle réalise cette même année les quatre grands ensembles en bronze doré du pont Alexandre III. Les catalogues de vente de la société nous permettent aujourd’hui d’apprécier la richesse des objets d’art qu’elle produisait ainsi que de constater ses diverses sources d’inspiration. Car ce qui a fait la renommée de la maison, ce sont aussi ses fréquentes collaborations avec les plus grands artistes de l’époque parmi lesquels Carrier-Belleuse, Mathurin Moreau, Pradier et Eugène Piat.
Cette paire de statues en fonte représentant des Indiens d’Amérique du Nord est particulièrement intéressante par son originalité iconographique et sa qualité de réalisation. Oeuvre de la plus grande société de fonte d’art en France, elle témoigne de l’intérêt croissant des Français pour les Etats-Unis à la même époque et de l’imaginaire collectif de ce Nouveau Monde.