Cette barre de chenets en fonte de fer à patine bronze et bronze doré a été réalisée aux alentours de 1880 d’après Frédéric Eugène Piat et est attribuée à la société du Val d’Osne.
Reliés par une barre latérale, les deux chenets sont ornés de sphinges, figures de la mythologie grecque. Pendant féminin du sphinx, les sphinges possèdent un corps animal semblable à un félin et une tête de femme. Une grande force et beaucoup de vigueur émanent de ces deux figures aux muscles saillants, au torse bombé, aux griffes acérées, au regard fier et impassible. Ces caractères accentuent leur rôle de gardienne, elles qui sont destinées à maintenir les bûches au dessus de l'âtre. Ces deux créatures, bien que monstrueuses, arborent toutefois une certaine féminité tant dans la noblesse de leur port de tête que dans les nombreux atours qu’elles portent. Sur leur poitrine est ainsi avancé un genre de diadème agrémenté d’une rosette et une pièce très travaillée à la manière d’un pardessus orné de rinceaux recouvre leurs épaules. Leurs ailes se prolongent par des volutes et leur tête à la chevelure coiffée en chignon est surmontée d’un vase aux poignées réalisées en bronze doré.
Elles sont sont assises de manière droite sur des socles nivelés d’inspiration antique que relient la barre latérale. Une rosette en bronze doré est fixée sur ces socles, ressortant d’autant plus sur la fonte de fer aux tons auburn.
La barre centrale est quant à elle ornée d’un décor d’une très grande finesse
où se distinguent volutes et motifs floraux.
Les sphinges qui ornent cette barre de chenets ont été réalisées d’après Eugène Piat qui réalisa une Paire de sphinges en marbre blanc présentée au Salon de 1874 et semblables aux nôtres.
Le motif de la sphinge est par ailleurs une exception dans l’œuvre d’Eugène Piat mais connut une certaine fortune puisque deux reproductions sont conservées au musée des arts décoratifs de Troyes : tandis que l’une, en fonte de fer, a directement été moulée sur le modèle original, l’autre, en plâtre, en est une réduction. Piat est d’ailleurs le fondateur de ce musée qui conserve aujourd’hui la majeure partie de ses œuvres publiques. Ce musée a été inauguré le 31 mai 1894 et est considéré comme le symbole du couronnement de la carrière de l’artiste.
Frédéric Eugène Piat, Paire de Sphinges, 1873, marbre blanc, Salon de 1874, Vente Drouot, juin 2004, vendu 115 000 euros.
Sphinge, d’après Eugène Piat, fonte de fer, fonderie Val d’Osne, Musée de Troyes.
Sphinge, réduction en plâtre,
vue de trois quart.
Frédéric-Eugène Piat (1827-1903) est l’un des principaux sculpteurs et ornemanistes français du XIXème siècle à l’origine, avec Louis-Constant Sévin notamment, du renouvellement et du développement de l’industrie française du bronze d’art. Membre actif de la Réunion des fabricants de bronzes, il fait en effet partie de ceux qui ont opéré la fusion entre l’art et l’industrie. Il devient par la suite l’un des fondateurs de l’Union Centrale des Beaux-arts appliqués à l’Industrie en 1864.
Après une formation auprès de sculpteurs et d’ornemanistes, il se met à son compte en 1845 et jouit dès les années 1850 d’une bonne réputation. Au cours de la décennie suivante, il entame une collaboration avec le fondeur Louis Léon Marchand (1831-1899). Dans les années 1870, il collabore avec d’éminents fabricants : Georges Edouard Gagneau, Charles de Marnyhac, Emile Colin ou encore la Fonderie du Val d’Osne.
La date de création et d’exposition des sphinges en marbre, modèle de notre barre de chenet, se situe à un moment charnière dans la vie de Piat. C’est en effet à partir de l’année 1873 qu’a lieu sa consécration artistique : alors qu’il conçoit des modèles destinés à être exposés lors de l’Exposition universelle de Vienne de 1873, il reçoit la visite du Président de la République Adolphe Thiers qui le fait Chevalier de la Légion d’honneur pour son fructueux apport dans le domaine de l’industrie du bronze d’art français.
Il participa aux Salons parisiens ainsi qu’à neuf Expositions universelles dans la seconde moitié du siècle. Il est notamment très remarqué lors de celle qui se tient à Paris en 1878 où il expose une vaste collection d’objets grâce auxquels il reçoit une médaille d’or, mais surtout lors de celle de 1889 où il est décoré du Grand Prix, plus haute récompense jamais accordée à un artiste industriel. Grâce à la qualité et au style de ses productions, en accord avec le goût de l’époque pour l’historicisme et l’éclectisme et dont témoigne cette barre de chenet, Piat connut une renommée à l’échelle nationale mais aussi internationale.
La sphinge en fonte de fer conservée au musée de Troyes a par ailleurs été éditée par la fonderie Val d’Osne. On retrouve une illustration de ce modèle dans un catalogue de vente de la fonderie, ce qui suggère qu’il a été tiré en plusieurs exemplaires, mais aussi avec quelques variations et déclinaisons en divers objets, comme le prouve cette illustration de candélabres également inspirés de Piat. Les éléments trônant sur leur tête et supportant le réverbère proprement dit sont par ailleurs très proches des vases décoratifs coiffant nos deux sphinges. Il nous est donc permis d’affirmer que notre barre de chenet a elle aussi été éditée par la fonderie du Val d’Osne dont la production est à l’époque très prolifique.
La société du Val d’Osne est une fonderie d'art créée en 1835 par Jean Pierre Victor André, inventeur de la fonte de fer d'ornement, pour fabriquer du mobilier urbain notamment. Tandis que ses ateliers se trouvaient au Val d’Osne en Haute Marne, son siège social ainsi que son magasin d’exposition se situaient au 58, boulevard Voltaire, dans le 11ème arrondissement de Paris. A sa mort, son neveu, Hippolyte André (1826-1891), reprend l’affaire. L’importance de la fonderie fut telle que la fonderie ne tarda pas à absorber les sociétés concurrentes comme André, Barbezat et Ducel. Elle devient ainsi la plus importance société en matière de fonte d’art en France.
Catalogue de vente, Société du Val d'Osne.
Réputée auprès de ses contemporains notamment grâce à ses fontaines monumentales, ses statues et grands groupes en fonte de fer réalisés d’après des modèles antiques classiques ou des modèles contemporains, la fonderie obtient plusieurs médailles lors des expositions des produits de l’industrie française. Elle reçoit une médaille de bronze en 1834, une médaille d’argent en 1839, des médailles d’or en 1844 et 1845. Elle participa également aux Expositions Universelles de Londres en 1851, de Paris en 1855, de Santiago en 1875, de Melbourne en 1879, à celles de Paris en 1878, où elle est récompensée du Grand prix et de deux médailles d’or, 1889 (hors concours et membre du jury) et 1900 (hors concours et membre du jury). Elle réalisa cette même année les quatre grands ensembles en bronze doré du pont Alexandre III.
Les catalogues de vente de la société nous permettent aujourd’hui d’apprécier la richesse des objets d’art qu’elle produisait ainsi que de constater ses diverses sources d’inspiration. Car ce qui a fait la renommée de la maison, ce sont aussi ses fréquentes collaborations avec les plus grands artistes de l’époque parmi lesquels Carrier-Belleuse, Mathurin Moreau, Pradier et bien sûr Eugène Piat.